mercredi 15 décembre 2010

Le corps "après"

Peut-on sans peur du cliché évoquer la métaphore du "champ de ruines", pour décrire le corps "après" ?
L'enfant laisse derrière lui un corps traversé, un corps ouvert. Cette ouverture s'irrite, parfois s'infecte. Le sexe est une plaie - qui n'est jamais qu'une autre forme d'ouverture... Dans l'attente de la cicatrisation, l'accouchement est vécu comme une blessure ; existe-t-il un autre processus physiologique qui blesse à ce point le corps ? Une autre fonction corporelle à ce point traumatisante ?
Traumatisante aussi esthétiquement parlant, bien sûr : le corps est laissé mou, vide, flasque. La rotondité gélatineuse des seins remplace celle du ventre ; il y a toujours une saillie, mais comme déplacée. Le chamboulement hormonal provoque également la chute des cheveux, les pertes de sang et de liquides divers, l'incontinence du fait de la déliquescence des tissus musculaires. Le corps est en mue, il se perd, il s'échappe.
La mère elle-même a changé d'identité à la faveur de cette débâcle, puisqu'elle est effectivement passée de 1 à 2. On peut sans doute considérer que la transformation du corps est comme la somatisation de la petite crise schizophrénique qu'elle traverse. La violence du processus l'invite à penser son corps d'"avant" comme un paradis perdu.
Elle doit alors se livrer à un réapprentissage d'elle-même, au moment exact où l'enfant, de son côté, explore et découvre les potentialités de ce corps nouveau, hors de la gangue maternelle. Réapprentissage de la miction, de la défécation, de la sexualité.
Apprentissage parallèle de l'allaitement : les flux de lait, la manipulation du corps du bébé, les soins des tétons. Faire le deuil de certaines fonctions, en maîtriser de nouvelles.
Mais surtout, redécouverte de l'écoulement de sang, qui avait disparu pendant ces longs mois de gestation. Et bientôt, redécouverte de l'attente des règles. Le temps cyclique reprend son cours, après la linéarité de la grossesse.

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