mercredi 8 décembre 2010

Le dire ou pas

Tout commença le jour où elle ne voulut plus lui dire qu'elle l'aimait.
Les mots refusaient de franchir la barrière de ses lèvres. Il lui semblait qu'en prononçant ces syllabes molles – jeetttèèèmmmmm – elle troublerait un ordre fragile et précieux ; le bruit de son aveu retentirait comme une indécence, une facilité inexcusable, une compromission à la sensiblerie ambiante.
Certainement, elle ne lui dirait jamais une chose pareille. « Je t'aime » ; comme cela sonnait mal ! Petit, mesquin, étriqué, face au maelstrom véritable qu'il lui semblait vivre !
Elle ne put pourtant lui expliquer les raisons de son refus – et n'étaient-elles pas évidentes ? Pourquoi expliquer ce qui saute aux yeux ? Pourquoi signaler ce qui apparaît de soi-même ?
Il plongea les yeux dans sa pinte de bière blanche, était-il troublé de son refus ? Elle n'en fut pas certaine sur le moment. Il souriait dans le vague, et ils se séparèrent comme d'habitude, avec un long baiser humide et un peu gluant.

Plus tard, elle se reprocha un bref moment ce qui lui apparaissait à présent comme un caprice ; une petite vague de remord vint occuper son cerveau, vite chassée par la perspective d'une longue après-midi de travail sous une chaleur étouffante. Les mots n'étaient que des mots.

Le soir-même, elle se rendit compte que quelque chose avait changé. Le regard qu'il portait sur elle, ironique, un peu étonné aussi, semblait la découvrir pour la première fois. Ils dînèrent en silence, travaillèrent, allèrent se coucher. Il n'eut pas, au moment d'éteindre la lumière, le geste familier de lui découvrir les fesses pour les caresser ; elle n'osa rien solliciter, et s'endormit un peu péniblement.

Le lendemain, il partait plus tôt qu'elle. A 7 heures, il vint lui baiser le bout des doigts, et la réveilla ; elle feignit de continuer à dormir, pour mieux profiter des baisers doux et chauds qui couraient sur sa peau comme de légers insectes ; elle entrouvrit les yeux pour le voir, pas assez cependant pour qu'il se rendît compte de sa petite supercherie ; il avait toujours le même regard que la veille, et elle referma les yeux, un peu inquiète.

Les jours se suivirent et se ressemblèrent, étrangement. Le matin, quelques baisers légers dans un demi-sommeil. Le soir, ils se retrouvaient, échangeaient quelques banalités, travaillaient, s'endormaient. Au bout d'une semaine, elle réalisa qu'ils ne faisaient plus l'amour.

Elle s'en ouvrit à lui, s'en irrita même un peu. Il ne répondit rien, toujours avec ce même sourire un peu amer, un peu lointain. Elle pleura, cria, tempêta.

Alors, lentement, d'une voix si feutrée qu'il fallait tendre l'oreille pour en saisir les inflexions, il lui demanda de prononcer ces trois mêmes mots.

Un vertige la saisit. Il la regardait, si proche, si étrange, si terrifiant à présent, et elle se sentit envahie par une faiblesse insurmontable. C'était si facile, il suffisait d'écarter ses lèvres et d'articuler.

Elle ouvrit la bouche, la referma. Aucun son ne sortit. Elle tendit les bras, pitoyable, implorante. Elle resta ainsi, les mains ouvertes, les larmes ruisselant sur ses joues, longtemps après qu'il eut refermé la porte derrière lui.

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