jeudi 31 mars 2011

Moins qu'hier et plus que demain

Elle descend du wagon malodorant, elle heurte du bout de son talon le quai sale et manque de trébucher. Elle sort de la station, franchit la distance qui la sépare de l'arrêt de bus, prochain passage dans huit minutes. Elle aurait le temps de fumer une cigarette mais il est encore tôt, et les battements de son coeur sont si violents qu'elle risque la nausée. Elle reste plantée, l'oeil vide, sous le rayon de soleil timide qui ne parvient pas à la réchauffer. Mais elle sait bien que ce n'est pas le froid qui la fait ainsi trembler.
Au bout d'une attente qui lui semble interminable, le bus glisse et s'arrête sous son nez dans un chuintement désagréable. Elle se hisse sur le marchepied, l'odeur de caoutchouc tiède et de sueur lui saute au visage et la fait reculer comme l'impact d'une main qui gifle.
Elle s'assied après avoir vérifié qu'elle ne lésait ni femme enceinte ni vieillard ni bancroche, et sort machinalement son téléphone de son sac. Aucun message, et le vide de son écran contraste douloureusement avec le flot de pensées angoissées et absurdes qui se bousculent dans son cerveau. Elle s'oblige à ne pas réfléchir, elle se répète comme une invocation que tout cela n'a aucune espèce d'importance, qu'il fait beau, qu'elle a bien d'autres préoccupations que cette question qui la déchire sans trève.

Enfin c'est son arrêt, elle descend rapidement et absorbe avec reconnaissance une goulée d'air frais. Elle se hâte à présent, ses pieds tricotent avec agilité, et le claquement de ses chaussures tinte et sonne dru ; elle puise dans ce rythme un nouveau courage et presse encore le pas un peu plus.

En arrivant devant l'entrée du bâtiment, elle ralentit, et son coeur saute à nouveau, survolté, furieux comme une guêpe sous un verre retourné avant le début de l'asphyxie. Elle prend le temps de se poser, allume une cigarette, inspire longuement la fumée, la recrache avec un sérieux émouvant, comme si cet empoisonnement qu'elle s'inflige avec volupté possédait une vertu lénifiante, comme si le panache gris qui s'élève sous ses yeux avait le pouvoir de calmer ce monstre qui, à son oreille, la menace des pires choses.

Elle écrase son mégot, entre, traverse le couloir. Plus loin elle aperçoit la porte du bureau, ouverte ; enfin, son coeur s'apaise, enfin elle se détend.

vendredi 11 mars 2011

Tu n'es pas féministe, mais...

- tu votes à chaque scrutin ; il t'est peut-être même arrivé de figurer sur une liste municipale ou législative.
- tu as un compte bancaire à ton nom, que tu as pu ouvrir sans l'autorisation d'un tuteur légal, père ou mari.
- tu verses sur ce compte le fruit de ton travail, qui t'appartient en propre.
- tu as reçu une instruction identique à celle de tes frères et cousins.
- tu as peut-être passé des concours auxquels ta grand-mère, voire ta mère, n'auraient même pas eu le droit de s'inscrire.
- tu utilises un moyen de contraception.
- ton ou ta partenaire est celui/celle de ton choix, et nul n'a le droit de t'imposer une union que tu ne souhaites pas.
- tu as pu porter plainte contre ton violeur, et espérer qu'il rende compte de son acte devant la justice.
- tu conduis une voiture, pratiques une activité sportive, fumes dans la rue, bois des bières en terrasse, portes des pantalons, sans qu'on puisse y trouver à redire.


Tu n'es pas féministe, mais le respect de ton intégrité corporelle, de ta dignité sociale, de ta personne, sont le fruit d'un combat porté par le mouvement féministe à l'époque pas si lointaine où la majorité silencieuse ne se souciait pas de ces choses.

Alors, mon amie, ma soeur, personne ne te demande de manifester ou de militer - c'est également ton droit de ne pas t'impliquer directement dans cette lutte. Mais ne pourrais-tu, au moins, avoir la reconnaissance du ventre, et ne plus mépriser celles et ceux grâce à qui tu jouis de tous ces droits ?