mercredi 3 juin 2009

Amère fête des mères

Chaque année, le dernier dimanche de mai, tous les écoliers de France récitent des compliments sucrés louant la tendresse, la bienveillance, la sollicitude éternelle des « mamans ». Ils offriront ensuite de jolis cadeaux bricolés en classe sous l’œil attentif de l’institutrice, selon l’image d’Epinal en vigueur dans notre pays.
La bonne mère, celle-là même que décrivent les dits compliments, se doit d’accepter ces présents avec ravissement. Ne sont-ils pas offerts par les petits êtres chéris, les doux trésors qu’elle aime tant ? Depuis son instauration, la fête des mères célèbre ainsi beaucoup moins la maternité triomphante que la toute puissante dictature de l’enfant sur sa mère. Dictature consentie avec joie par cette dernière, direz-vous ; mais cette tyrannie, qui s’exprime par l’appréhension de l’enfant comme seul centre d’intérêt, unique souci et récompense suprême de toute une existence, est-elle affaiblie pour être acceptée ?
La fête des mères est pour cette raison un rite impossible à refuser. S’en écarter revient à s’exclure d’une imagerie contemporaine naïve qui valorise la mère dévouée et consentante, heureuse dans son aliénation – et qui classe toutes celles qui voudraient proposer une représentation alternative de la maternité dans les rangs des « mauvaises mères ». Qu’on y réfléchisse seulement quelques minutes : quelle mère, sinon une mère dénaturée, peut expliquer à son enfant que le poème qui la transforme en génie tutélaire du foyer, et que le fer à repasser offert par toute la famille assemblée, loin de la combler, l’humilient et la maintiennent dans un univers domestique étriqué et accablant ? Comment faire comprendre à de jeunes bambins conditionnés par la publicité, enrégimentés par les institutions, que sous cette mascarade annuelle se dissimule – mal – le spectre récurrent de la propagande nataliste, qui rêve de repeupler la France en engrossant ses ventres, qui glorifie la femme au foyer et stigmatise celle qui travaille ? Qu’être mère n’est pas forcément le meilleur rôle d’une vie, et à coup sûr, pas le seul ? « Tu vas lui faire de la peine », « ça lui fait tellement plaisir » ; ces petites phrases sont, tous les ans, bien souvent prononcées ce fameux dimanche, étouffant dans l’œuf toute velléité de rébellion contre cette fête qui n’en est pas une pour tout le monde.
Mais les enfants ne sont ici que de simples instruments, manipulateurs parce que manipulés. C’est bien sûr aux adultes qui perpétuent cette escroquerie que ce discours devrait s’adresser. Malheureusement, tous font la sourde oreille. Elle peut bien protester, la « maman » étouffée sous les fleurs ; il n’y a personne pour l’écouter. Mais a-t-on jamais demandé l’avis des mères pour leur « faire leur fête » ?