samedi 15 janvier 2011

Devoir conjugal

Cette soirée sent le sexe.
Au moment où, à peine rentré, il a ôté sa veste et s'est penché pour l'embrasser - baiser conjugal, habituel, anodin - l'envie l'a saisie.
Quelque chose dans sa façon de le serrer contre elle, un frémissement de sa lèvre, une ondulation sournoise du bassin, l'a prévenu. Il a souri, étonné, amusé, elle lui a rendu son sourire avec un éclair pétillant et lubrique au fond de l'oeil.
Ce soir.
Quand l'enfant sera couché et dormira, du sommeil angélique qu'ont les petits monstres épuisés par les longues journées de maternelle.
Ce soir, dans leur lit, sueur, salive et sperme, en plusieurs exemplaires si possible.

*

Et voici que l'enfant est couché et qu'ils sont enfin seuls. Les baisers deviennent plus impatients et plus profonds. Ils s'enlacent, se touchent. Elle sent son sexe d'un coup se tremper et s'ouvrir pour accueillir l'engin solide et chaud qu'elle a commencé, gentiment, à branler - comme il aime qu'elle le branle.


L'enfant s'agite, appelle ; il réclame un verre d'eau. Minute flottante, ils s'observent ; elle contemple avec désespoir la protubérance qu'elle choyait il y a quelques secondes et qui, trop visible, lui interdit d'aller lui-même consoler leur progéniture. Elle remet sa culotte, son pantalon, file chercher le verre d'eau réclamé, réconforte, embrasse - mère attentive torturée par cette furieuse envie de baiser qui l'obsède encore au moment où ses lèvres murmurent des paroles d'apaisement.
L'enfant se recouche, promet de dormir, il est tard à présent mon coeur, bonne nuit et à demain.


Il l'attend, elle l'empoigne. Il n'a pas trop débandé, elle se penche, l'attrape dans sa bouche, lèche en miaulant de convoitise. Il se laisse aller en arrière, appuyé sur les oreillers, ferme les yeux, souffle et murmure des mots affectueux et obscènes pour l'encourager.

*

D'un bond elle se redresse et rabat la couette sur lui, juste à temps pour cacher sa queue violette d'excitation. L'enfant gratte à la porte, tire sur la poignée, pleurniche, lamentable, pieds nus, apeuré. Elle se précipite, l'emporte dans ses bras en grondant tendrement. Mon petit coeur, mon lapin, tu vas attraper froid, retourne donc au lit.
L'enfant pleure plus fort encore, et seul un long câlin peut à présent l'aider à trouver le sommeil.
Résignée, elle s'allonge à ses côtés dans le petit lit bleu, et le serre contre sa poitrine en rappelant à sa mémoire la berceuse qu'il préfère.


*

L'enfant est assoupi. Elle se lève, très doucement pour ne pas l'éveiller, éteint la lampe, traverse le couloir, rentre dans leur chambre. Il s'est écroulé au travers du lit et dort lui aussi, écrasé, inerte et flasque.
Elle se couche à ses côtés, remonte la couette et, muette, se branle avec l'application triste de ceux que le sort abandonne.

mercredi 5 janvier 2011

Elle ne fait pas l'amour, elle baise

Faire l'amour...
Expression que je trouve depuis toujours profondément dégueulasse.

D'abord, faire, c'est technique. Et ça implique de ce fait un geste, une maîtrise qui me font immédiatement penser à ces insupportables partenaires, qui se penchent sur vous, l'oeil lubrique, en murmurant : "tu vas voir, toi, tout ce que je vais te faire comme trucs..."
Moi, je n'aime pas vraiment qu'on me "fasse des trucs". Parce que ça me donne l'impression de passer une visite médicale.

Mais encore, admettons. Admettons que le sexe, ça consiste à faire et se faire faire des trucs. Pourquoi, alors, ces différents trucs, plus ou moins agréables s'ils sont bien "faits", devraient s'identifier à "l'amour" ???
Pourquoi diable mêler de force l'amour à ce genre d'exercice ?
Quel rapport y a-t-il donc, entre deux individus adultes et (on l'espère) consentants, jouissant de leurs corps avec enthousiasme, et cette nébuleuse affective qu'on appelle traditionnellement "amour" ?


Décidément, non, je ne fais pas l'amour.

Je baise. Quel joli mot ! Comme il décrit bien cet élan qui nous fait embrasser de tout notre corps le corps que l'on convoite !
Et comme il maintient bien cet embrassement à sa juste place : un baiser plaisant, joyeux, animal, serein...

Et pour l'amour, on verra bien.
Avant, après, parfois même pendant que je baise, il m'arrive aussi d'aimer. Mais je crois sincèrement qu'en cette matière, l'humanité gagnerait à éviter de hasardeux mélanges conceptuels, en s'abstenant de faire l'amour.

être femme, être fendue

"Le corps de la femme n'a pas de verrou pour fermer la sente qui conduit au centre de son corps, à ce lieu d'elle-même qui lui appartient autant que ses mains, ses yeux ou ses cheveux, mais qu'elle ne connaît pas, qu'elle ne contrôle pas". Marie Cardinal, Autrement dit.
La seule fragilité intrinsèque du corps féminin réside dans cette ouverture si délicate à contrôler.
Ironie linguistique, on décrit la zone qui encadre cette trouée par une métaphore architecturale particulièrement trompeuse : le plancher pelvien. De là à conclure qu'une femme ne peut avoir que de mauvaises fondations...
C'est de fait un animal bien curieux, que celui qui a son plancher, c'est à dire son sol, sa base, sous son ventre, c'est à dire au milieu de son corps. Si le plancher est au centre, l'assise, la stabilité de cet être bizarrement conformé par la nature sont perpétuellement menacées. Et les jambes sont réduites à des appendices superflus, télescopiques ou rétractables, comme si l'espace du ventre constituait le tout de la femme.

Pendant et après l'accouchement, le problème ne vient pas de ce qui pourrait "entrer" par cette fente (comme dans le cas du coït, consenti ou non), mais de ce qui risque d'en sortir (un bébé, et ensuite des organes qui ne sont plus retenus dans leur descente). L'urgence, donc, dans les semaines et les mois qui suivent la parturition, est de reconstruire (restons architectes) ce plancher pelvien, donc de réussir la prouesse qui consiste à faire du fermé avec du perçé, et du dur avec du mou. Le maintien en question est en effet strictement musculaire, et non intrinsèque à l'organe ; il peut se renforcer ou s'affaiblir, il est susceptible de variations.
Une femme qui fonctionne "bien" est ouverte, mais pas trop ; elle doit laisser entrer des pénis, elle doit retenir ce qui n'a pas à sortir.
Elle se voit donc transmettre une responsabilité vis à vis de cette partie de son corps ; si le périné demeure béant, c'est qu'il n' a pas été correctement rééduqué, elle l'a traité avec laxisme, comme un petit animal indocile.

J'ai pu entendre une sage-femme souriante et pleine de bonne volonté expliquer, lors d'une séance de préparation à l'accouchement, que dorénavant, les exercices qu'elle nous enseignait seraient à mettre en oeuvre toute notre vie. Toute notre vie...
Toute une vie à resserrer et relâcher spasmodiquement son périné à chaque instant de loisir. Et à s'en vouloir de ne pas le faire, bien évidemment...
Quel être humain autre que la femme qui a enfanté se trouve ainsi tenu, sous peine de déréliction interne, d'entretenir une telle attention, constante, vis à vis de son ventre et de son sexe ?
On apprend donc à la femme à garder, avec une vigilance permanente, ce sentiment que son corps est troué.

Naissance, horreur et rancune

Petite précision préalable : le texte qui va suivre est sans doute assez dur.
Il est à la fois le reflet d'une expérience singulière et subjective, et le fruit de plusieurs années de cogitations sur la question. Il s'est enrichi de témoignages recueillis à droite et à gauche, d'échanges, de discussions.

En d'autres termes : non, il ne décrit pas la réalité ultime de l'accouchement en général. Oui, la naissance d'un enfant peut être une grande fête du corps et de l'esprit, merci, je suis au courant.
Mais parfois (souvent ?), ce n'est pas le cas. J'écris pour cette deuxième catégorie de femmes ; la première peut d'ores et déjà ranger ses souvenirs lumineux et sucrés dans son tiroir à souvenirs personnel, en s'abstenant de venir en faire part ici, merci beaucoup.

L'accouchement est une expérience de solitude et de mort.
Un sacrifice de soi ; sacrifice relativement consenti, jusqu'au moment où la femme en gésine se rend compte de ce qui est en train de se passer. Alors commence une lutte féroce entre la mère et son enfant.
La mère refuse ce qui lui arrive ; elle refuse la douleur, elle refuse de devenir mère avec tout ce que cela implique, elle refuse les humiliations liées à l'environnement médical dans lequel elle est plongée jusqu'au dessus du cou.
Car la médicalisation de l'accouchement reste un bastion solide de l'emprise sociale sur les femmes.
Il s'agit d'être compliante ; se coucher, faire le dos rond, marcher, se faire sonder, se faire visiter par de multiples doigts gantés qui viennent évaluer l'avancement du travail, en un mot : obéir. Parce qu'il doit sortir, cet enfant. Et rien ne peut empêcher cette sortie, à ce moment précis. On la forcera s'il le faut.
Le corps de la femme est donc humilié, au moment même où l'on devrait l'exalter, simplement pour lui insuffler l'héroïsme nécessaire - l'héroïsme qui permettrait d'assumer jusqu'au bout le sacrifice qui est en train d'avoir lieu.
Mais la soumission semble un moyen plus commode ; soumission à la souffrance, acceptation de l'ouverture d'où glissera l'enfant dans le sang et les cris.
Quitte à recourir à la technique si la soumission se fait mal - ou bien au mauvais moment, trop tôt, trop tard. Et l'instrument, guidé par la main de celui qui sait, sage-femme ou obstétricien, terminera l'ouvrage.
Dans les minutes qui suivent, la femme ressent un curieux mélange de désespoir et de soulagement. La porte a été franchie, quelque chose a eu lieu d'irréversible, de terrifiant.
La douleur s'apaise progressivement, remplacée par une gêne diffuse. Le corps reste lourd, encombrant, alors même qu'il est vidé. Le bébé est comme un rêve, entre deux ordres du réel, ni dans le ventre, ni dans le creux des bras, quelque part plus loin...
Il est autre, il nous regarde, nous le regardons, cet être que nous ne sentons plus en nous ; ce qui naît à cette minute, depuis toujours, ce n'est pas seulement un être humain ; c'est la spéculation comme telle.

Mais cette spéculation s'incarne dans un homme (fille ou garçon), qui doit son existence à la soumission de sa mère. Pour naître nous devons forcer le passage et enfoncer une porte, en détruisant toujours un peu ce qu'il y a autour.
Les femmes taisent cependant leur colère, soit d'elles-mêmes, soit (le plus souvent) parce qu'elles reçoivent, en même temps que leur poupon nettoyé, une injonction terrible à pardonner.
Pardonner à l'enfant, aimer l'enfant. S'aimer soi-même, à nouveau, alors qu'on s'est vécue défaillante, souillée, niée. Reprendre une vie mondaine, sexuelle, affective.
Et pour que l'injonction paraisse moins insurmontable, on prétend que les femmes sont "fortes" ; ce qui signifie en réalité qu'on attend d'elles qu'elles le soient, qu'il faut qu'elles le soient pour endurer la maternité et accepter, si possible plusieurs fois, d'être "forcées".
Mais cette force qu'on invoque est pourtant effrayante pour ceux qui la réclament. Il faut à la fois l'endosser et la taire ; à la sidération de la naissance, succède l'auto-censure de la mère, qui serait de toute façon bien en peine de dire ce que nul n'a dit avant elle, ce qu'elle n'a jamais entendu.
N'ayant pas de véritable soubassement culturel articulé, ni littérature, ni tradition narrative ou réflexive qui tienne la route, la jeune mère ne peut s'inscrire que dans de l'empirique, du "vécu", du "ressenti", souvent compassionnel et mièvre.
On comparera avec effroi ce vide à l'abondance de la littérature dite héroïque ou épique ; l'épopée maternelle, elle, n'intéresse personne.