samedi 9 mai 2009

Vie parisienne

Les passants ne me font pas l’aumône de leur regard fatigué. Parfois leur œil glisse sur ma complexion sale comme sur une flaque de boue, quelque chose de lisse et de répugnant sur quoi rien n’invite à s’attarder. Je fais peur ; cette idée me gonfle de satisfaction stupide. Car je suis bête, comme ils se plaisent tous à me le répéter. Il est vrai que mes attitudes d’effroi sont comiques lorsqu’ils se mettent à me courir après.
« Il est vraiment trop con ! »
C’est pour rire, je joue. Eux aussi font semblant ; ils seraient bien emmerdés de vraiment m’attraper. Parfois je reçois des pierres. L’une d’elle m’a crevé l’œil. Je ne leur en veux pas. Cela me rend intéressant, cela renforce mon pouvoir de répulsion, bien plus puissant, bien plus durable que toutes les séductions de ces Vénus immaculées en mules compensées. Elles resplendissent de couleurs primitives et brutales : œil cobalt, cheveux oranges, ongles lie-de-vin. Moi, je reste à jamais gris, fondu dans l’entêtante absorption du béton sempiternel. Je suis incolore dans cette foire où je détonne comme un graffiti obscène sur la façade d’un club de bridge. Voilà qu’une de ces nymphettes aguichantes passe près de moi. Elle m’évite du bout de sa New Balance, sa moue nacrée – rose tendresse n° 12 – écoeurée plutôt que boudeuse. Je lui chierais bien sur la tête juste pour le plaisir d’entendre ses petits cris de chatte mouillée ; plaisant baptême. Elle s’éloigne, ses fesses se balançant de droite à gauche dans une ellipse qui se veut troublante. Cela ne me fait rien, ne peut rien me faire. Je préfère à leurs accouplements raffinés le viol rapide de mes semblables, compagnes effacées comme moi, livrées à mes désirs sur le trottoir que nous hantons de concert.
Vous vous dites : quel être ignoble. Vous avez raison ; je suis pour vous une sorte de monstre. Vous me le faites assez sentir. Quel plaisir je dois vous apporter : le dégoût et la peur sans aucune imminence de danger ! Je me plais à penser que vous n’êtes heureux que grâce à moi. Et moi-même, ne croyez pas que je sois à plaindre. Une frite moisie, l’eau d’un caniveau … Je suis bien. Je suis le grand parasite, blasé comme un dieu ; je suis la tâche blanchâtre sur le drap propre, je suis le pou dans le chignon. Mais je suis aussi ce qu’il y a de plus faible et de plus inconnu. Je mourrai sans doute en silence, broyé sous la roue d’une voiture, les viscères étalées, pour la première fois rouge sur le gris.
Je suis un pigeon. Et royalement, je vous emmerde.

2 commentaires:

  1. Magnifique! Bravo pour ce blog, et chacun de tes articles!
    Continue le plus longtemps possible.

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  2. Celui-là aussi est magnifique! Bravo, et longue vie à ce blog!

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