lundi 11 mai 2009

Promenade au parc

Il fait froid. Heureusement qu’il a trouvé cette porte miraculeusement ouverte, qui lui offre un chemin bien plus court jusqu’à l’arrêt de bus. Il imagine la table, la cuisine, les verres bien pleins. Ils ont sans doute déjà débouché les bouteilles, le maestro derrière ses fourneaux met la dernière main à son œuvre ; ils n’attendent plus que lui.
Il court sur les chemins comme figés par un givre précoce. Du givre en octobre, du jamais vu ; le froid a comme saisi la ville après deux semaines de pluie ininterrompue, et tout le monde fouille dans sa mémoire pour retrouver des souvenirs d’hiver venu prendre trop tôt la place de l’été indien. Plus de saison, atmosphère bousillée… Il sourit et pense aux peurs de l’an Mil. Les pronostiqueurs sont au chaud à théoriser sur le temps ; et lui qui se fout bien du climat court à présent pour être plus tôt sorti de cet iceberg géant. Le froid déforme même sa vision ; il croit voir les arbres bouger, les bancs se déformer. Ses pas résonnent comme de tous petits échos répétitifs.
Un gravier s’est logé dans sa chaussure. Il grogne, essaie de continuer, se résigne, et vient prendre appui sur le socle de la Diane qui surplombe la pelouse Sud du Luxembourg. Du haut de ses cuisses superbes, la main prête à plonger dans son carquois, elle regarde ses doigts gourds batailler avec les lacets, un sourire narquois aux lèvres. Voyez ce grand gaillard aux cent coups pour un minuscule caillou ; c’est donc si ridicule que ça, un homme ?
«  Ma vieille, ta remarque n’a rien d’original. Si tu te cultivais un peu, au lieu de regarder bêtement les gens avec un arc à la main, tu le saurais. Dans le genre cliché, on ne fait pas mieux ! »
Le gravier est parti, Marc lève un regard furieux vers la statue, comme pour vérifier qu’elle a bien pris acte de ce qu’il vient de lui lancer. Rêve-t-il ? mais elle rit à présent, la garce !
Il rit à son tour. S’il ne doit durant sa vie encourir que le mépris des statues, ça n’est pas si grave.
Il rejoint le chemin principal, se retourne une dernière fois, fait un signe de main amical vers la moqueuse ; sans rancune !
Il fait trois pas, trébuche, tombe, étouffe un râle.
Il faut croire que c’était plus grave qu’il ne pensait ; il a une flèche de bois fichée dans le dos, et son corps forme à présent comme un petit monticule minable, déjà durci par le gel.

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup ce texte (ça, c'est du commentaire original, je sais).

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