mercredi 26 juin 2013

Sois libre, je le veux...

Aujourd'hui j'ai choisi un format long. Ce qui ne veut pas dire que je considère les lignes qui suivent comme constituant un développement suffisant sur la question qu'elles abordent. En réalité, si j'arrive déjà à suggérer pourquoi je pense qu'en l'état actuel de notre réflexion collective sur la notion de consentement, rien de convaincant ne pourra être produit en cette matière, j'aurai plus que largement atteint mon objectif. Car concernant la GPA (le mot est lâché) c'est bien de consentement qu'il s'agit. Comme c'était déjà le cas pour deux sujets sensibles de ces dernières années :la prostitution et le voile. Deux sujets sur lesquels j'ai commencé à réfléchir il y a plus de dix ans, sur lesquels mes convictions se sont lentement mais sûrement érodées, jusqu'à se transformer en doute méthodique ; sur lesquels a rapidement clignoté ce mot :consentement, indépassable, hermétique, hallucinant. Je tiens ici à remercier le magazine Marianne qui, à la faveur d'un article qui tourne aujourd'hui sur les réseaux sociaux(http://www.marianne.net/La-GPA-ou-la-traite-des-meres_a227987.html),m'a permis, par ses faiblesses, de commencer à organiser négativement les questions et les doutes qui m'agitent et m'habitent concernant la GPA. Je suppose que ça va un peu piquer les yeux à quelques uns. Allons-y brutalement : non, je ne suis pas absolument horrifiée par cette perspective. Elle m'interroge, elle m'inquiète mais je crois qu'il est peu intéressant de la considérer uniquement comme un repoussoir. Car pour le moment je constate que nous n'avons à notre disposition, hors cette sainte horreur qui nous étreint,aucun argument solide à lui opposer. Sous les cris, le roi est nu. Donc pensons - et comme on ne pense pas bien à partir de rien, prenons comme base, pourquoi pas, cet article de Marianne. En le lisant, un mot m'a sauté aux yeux dans les premiers paragraphes -à la gorge, plutôt : le mot "enfant". Il est employé excessivement souvent, et occupe dans sa première partie tout l'espace conceptuel de l'article. Est-il d'ailleurs légitime ? En toute logique, pas vraiment : il est employé pour désigner le fœtus que porte la femme - qui en termes juridiques et biologiques n'est pas encore un enfant. Mais évidemment on suppose qu'il s'agit d'attirer notre attention sur le fait que la GPA ferait en réalité deux victimes : la mère et l'enfant. Car s'il n'y a pas enfant, il n'y a qu'une victime : la femme qui porte le fœtus - ce dernier n'ayant pas de statut possible de victime. Dans quel contexte ai-je déjà vu cette manipulation rhétorique ? Dans quel contexte a-t-on déjà ainsi habilement substitué l'enfant à la mère, et,sous couvert d'ajouter une victime, a-t-on finalement donné la plus grande charge émotionnelle à la seconde ? Ha oui : dans les argumentaires opposés au droit à l'IVG. Donc si je suis Marianne, ce qui est au premier chef révoltant dans la GPA, c'est séparer l'enfant de celle qui l'a attendu, nourri, abrité en son ventre, espéré ;celui qui subit la plus grande violence finalement, c'est l'enfant.Et la mère porteuse est interdite et taboue, parce que la mère contient l'enfant. Elle n'a pas le droit de disposer de son utérus,parce que cet utérus a pour hôte un enfant. Et pour la même raison, selon certains, elle n'a pas plus le droit d'expulser l'enfant lorsqu'elle ne souhaite pas devenir mère, ni de l'abandonner à sa naissance. IVG, naissance sous X, GPA ; trois cas de figure dans lesquels on peut tenir le même raisonnement, qui interdit l'acte pour faire valoir le droit de l'enfant ou du fœtus converti (subverti?) en enfant contre le droit de la femme à disposer librement de son corps. C'est une position audible, qui a au moins le mérite de la cohérence.Mais c'est impossible à tenir ; il est hors de question je suppose, pour la plupart des indignés de la GPA, de remettre en question dans le même lot le droit à l'IVG ou celui à l'abandon sous X. Allons plus loin : en vertu du droit de l'enfant non plus à naître mais né, ne faut-il pas rester logique et interdire l'allaitement artificiel ? Et la mère, si son droit de disposer d'elle-même passe nécessairement après celui de l'enfant,doit-elle avoir l'autorisation de travailler hors de chez elle pendant la première année de vie de l'enfant – alors que, et c'est une vérité scientifique, aujourd'hui démontrée, qu'il serait absurde de dissimuler, on sait à quel point l'attachement,très important pour le développement du nourrisson, se nourrit dans les premiers mois d'existence de la proximité avec celle qui le materne ? Je pense que si on commence à expliquer à ceux qui se révulsent devant la GPA que la logique de l'argument du droit de l'enfant à ne pas être séparé de sa mère entraîne dans sa suite tout ce que je viens d'énoncer, ils seront un peu plus circonspect. On est en réalité, il me semble, dans un domaine éthique où la frontière entre l'interdit absolu et l'arbitrage de bon sens est très difficile à établir une fois pour toute. Interdire aux mères de travailler ou d'avoir recours à un biberon semble une attaque insupportable à la liberté des femmes ; mais alors, pourquoi donc ne pourrait-on voir le même genre d'attaque insupportable dans le fait de leur interdire d'avorter ou... de louer leur utérus ?N'est-il pas là aussi question de la même liberté ? De la même revendication à disposer de son corps ? Pourquoi la revendication est-elle dans un cas légitime, dans l'autre pas ?Je n'ai aucune réponse à apporter à cela, et j'attends encore qu'on m'en propose. L'article de Marianne ne dit rien de ces difficultés. Mais voici que le texte glisse vers une toute autre question : celle de la rémunération. Par ce glissement, le point de vue est retourné : il n'est à partir de maintenant plus question du droit de l'enfant, mais de celui de la mère. La question de la rémunération est extrêmement complexe en réalité.Il y a deux cas de figure possibles pour la GPA : on peut considérer qu'il s'agit soit d'un commerce (donc avec rémunération),soit d'un don. Le second cas est prestement évacué : l'article nous dit que d'une part les gestatrices sont toujours rémunérées, d'autre part que dans un tel cas, le don est de toute façon inenvisageable :Comment croire qu'en France des femmes seraient prêtes à porter gratuitement un enfant pour le donner ? Et pourtant, en France, aujourd'hui, des femmes donnent leur sang, leurs ovules, leur plasma, parfois leur rein ou leur moëlle... Et tout le monde trouve ça très bien, très courageux, très noble. Et pourtant certains de ces dons impliquent des procédures lourdes,douloureuses, parfois dangereuses quand il s'agit d'un rein. Mais elles le font. Si cette générosité existe, pourquoi supposer ainsi qu'elle ne peut avoir lieu pour une gestation ? C'est un peu léger sur le plan argumentatif. C'est supposer qu'il faudrait être folle, dérangée pour accepter une chose pareille – et que le consentement dans un tel cas ne peut pas être tenu pour valable...Voyons, où ai-je déjà lu cela ? Ha oui. C'était à propos du port du voile islamique. La ficelle rhétorique de l'impossibilité du consentement devant une aliénation de soi trop grande, je l'ai bien souvent croisée dans ce domaine. Les femmes portant le voile ne peuvent y être autorisées,il faut les sauver d'elles-mêmes car elles sont incapables de réaliser leur aliénation. Elles ont beau faire des études supérieures, militer dans des partis ou des associations, gagner leur vie, leur parole est inaudible. J'avoue que je n'aime pas croiser des femmes voilées. Je le reconnais, ça me gêne, ça me met mal à l'aise. Mais je n'aime pas non plus croiser des skinheads, des personnes tatouées sur la figure, des femmes maquillées comme des voitures volées, des hommes arborant des tenues paramilitaires. Et moi-même je refuserais de porter ces tenues si on souhaitait m'y forcer. Pour autant, je dois bien reconnaître que la présence de ces individus dans l'espace public n'est pas en soi gênante. Si l'on considère que leur tenue marque une appartenance à une idéologie qu'on peut réprouver, interdire la tenue n'a jamais eu pour effet de détruire l'idéologie en question ; en revanche, l'effet réel immédiatement et véritablement constaté est proprement liberticide puisqu'il s'agit de limiter la circulation dans l'espace public d'un certain nombre de personnes. Et la privation de liberté est d'autant plus insupportable qu'elle s'accompagne d'un discours paternaliste expliquant aux individus concernés que ce qui les entrave en réalité les libère, et qu'aucun de leurs arguments ne saurait être écouté,car rien ne peut justifier de porter un voile islamique. Et tout est dit sur l'impossibilité du don ; là encore, Marianne n'ira pas plus loin. Mais quand bien même. Quand bien même elles se feraient payer. Qu'y a-t-il de honteux à faire payer une activité pénible ? Car la grossesse est bien un genre d'activité pénible. Voyons ce que dit Marianne sur la non-licéité du commerce que serait alors la GPA : pourquoi est-il inenvisageable de louer son utérus ? Notons que pour Marianne, il est bien entendu que ce sont des femmes pauvres qui vont se prêter à ce commerce. Il s'agit toujours d'un revenu important au regard du niveau de vie de la mère porteuse. Même en Roumanie où la rémunération est illégale,«nous le faisons tous pour l'argent » (Courrierinternational, le 23 octobre 2012). C'est souvent le mari de la mère porteuse qui y pousse. En Inde, la GPA est à la source d'une catastrophe sanitaire et humaine (The Lancet, le 10 novembre2012). Donc la GPA si je résume est une solution envisagée par certaines femmes,éventuellement sous contrainte d'un homme, pour compenser une misère réelle par la compensation financière qu'elles en obtiennent. Plus loin encore on lit : Beau progrès social, si le gouvernement règle les problèmes de la prostitution étudiante et du surendettement en légalisant la GPA... Belle dislocation du droit du travail, s'il en était ! Quelle tromperie, en échange du bien le plus précieux : la vie, au risque de la sienne. Prostitution :au détour d'une phrase le mot est lâché. La GPA est en réalité une prostitution déguisée – ou plus exactement, c'est une façon tout aussi transgressive et supposément infâmante de gagner de l'argent. Et les arguments qui stigmatisent la GPA sont les mêmes que ceux qui stigmatisent la prostitution : il est impossible de considérer chacune de ces pratiques comme un commerce tolérable, car chacune cumule deux traits insupportables : l'immoralité et la dangerosité. Se prostituer /louer son utérus, c'est mal, c'est sordide et nécessairement avilissant pour la femme qui le pratique ; se prostituer/louer son utérus c'est dangereux, ça met la santé du corps en péril et ça implique d'être mêlé à des trafics louches, de travailler sous la coupe de bandits, etc. Là encore il sera inenvisageable de seulement écouter la parole des femmes qui ne se reconnaissent pas dans un tel tableau. Tu es gestatrice/prostituée= tu es avilie/en danger. Ce n'est pas une façon légitime de gagner de l'argent, un point c'est tout – et si tu imagines que tu le fais librement, tu te leurres toi-même, tu ne PEUX pas consentir réellement à ces pratiques. Parce que, comme la femme voilée,comme la femme qui avorte, en réalité, tu le fais sous contrainte(contrainte de ton mec qui veut que tu avortes, contrainte de ton mari qui te prostitue, contrainte de tes parents qui te soumettent à la loi coranique, contrainte de ta misère, tout simplement). On me dira que les contre-exemples sont rares, que les prostituées qui affirment qu'elles ne sont pas sous contrainte sont des affabulatrices, que les femmes qui avortent souffrent toutes ensuite de leur avortement, etc. Je répondrai :nous n'en savons rien. Il est rigoureusement impossible de savoir ce qu'il en est réellement du consentement d'un individu qui n'est pas dans une situation objective d'aliénation. Une femme qui n'est pas explicitement esclave ou mineure est considérée par le droit comme un individu a priori libre. Son consentement en tant que prostituée ou femme voilée est tout aussi éclairé et valide que celui de la malheureuse qui accepte pour nourrir sa famille de faire les trois huit dans une usine de poisson ou qui nettoie les toilettes du stade Gerland après un soir de match ; ainsi que le consentement du militaire ou du journaliste grand reporter qui pratiquent tous deux un métier bien souvent hautement dangereux. Nous ne sommes pas dans sa tête, nous ne savons pas ce qui la motive, nous ne savons pas ce qu'elle pense,ce qu'elle ressent, ce qu'elle sait ou ne sait pas. Et nous sommes donc, jusqu'à l'invention de la machine à explorer les cerveaux,tenus de lui accorder un minimum de crédit quand elle décrit sa situation. Il y a des avortements sous contraintes, des mariages forcés, des esclaves de réseaux de prostitution, et sans doute aussi des gestatrices traitées comme du bétail. Et contre ces infamies il faut lutter sans relâche. Mais il y a aussi des avortements librement choisis, des femmes cultivées qui vivent leur spiritualité en l'affichant sous un voile, des prostituées indépendantes et des gestatrices... libres. Qu'elles soient ou non minoritaires ne suffit pas à nier leur existence. Et ça me gêne profondément qu'on le fasse systématiquement. Et en tout état de cause, je ne considère pas en ce domaine l'argument de l'absence de consentement ou du consentement vicié comme a priori valide – pour les mêmes raisons que dans les autres cas que j'ai cités : avortement, voile,prostitution. Si on n'a que ça en magasin pour s'opposer à la GPA, je suis navrée mais ça ne tiendra pas la route longtemps. Je considère que sur ces questions, nos sociétés sont profondément immatures. Nous fonctionnons encore avec l'idée qu'il y a certaines catégories de personnes qui n'ont pas un niveau de responsabilité et d'autonomie tels qu'on puisse leur accorder la capacité de prendre des décisions libres. Pour ces personnes, par définition faibles, il convient de prendre les décisions à leur place – y compris des décisions qui vont contre leur volonté explicite. On le fait pour les enfants, on le fait pour les femmes (essayez de vous faire ligaturer les trompes en France, essayez d'accoucher sans qu'on vous allonge de force,etc), on le fait pour les malades, les fous, les chômeurs, les immigrants, les pauvres en général... Et pour les putes, et pour les musulmans, et pour tous ceux qui souhaitent faire un usage non-consensuel de leur corps, de leur argent, de leur vie. Et l'on considère que faire disparaître les signes d'un consentement qui accuse l'ordre établi suffira à résoudre le problème. Faisons disparaître les voiles, les prostituées ; rendons l'accès à l'avortement difficile ; interdisons la GPA. Et comme ça on ne verra plus la misère, puisqu'on ne verra plus les choix extrêmes qu'elle peut entraîner. On pense détruire les signifiés en détruisant les signes... Quelle naïveté. Je ne souhaite pas à ma fille de se trouver avec ce seul moyen de gagner sa vie.Vraiment, non, pas plus que de devoir se prostituer, de se trouver gagnée par la crise mystique universelle qui fait chercher un refuge dans le respect de pratiques religieuses contestables.Pas plus que de devoir nettoyer les toilettes du stade Gerland. Mais je ne lui souhaite pas davantage de grandir dans un monde ou tout le monde saura, mieux qu'elle, comment elle doit disposer de son corps...

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