samedi 25 juin 2011

Pudeur, justice et autres choses oubliées

Sincèrement, Platon, on en revient.
J'en suis revenue moi-même, depuis ma découverte des sagesses hellénistiques qui mériteraient à mon humble avis de recueillir ne serait-ce que le dixième de l'attention actuellement dévolue par nos penseurs de tout poil au divin fondateur de l'Académie.
Platon, ce fasciste génial, dont la langue splendide dissimule (assez mal quand on le lit exhaustivement) une propension au sophisme qui personnellement m'indispose.
Platon surtout coupable à mes yeux d'avoir si bien jeté le trouble sur la valeur de l'expérience humaine qu'il faudra des siècles avant que la perspective empiriste sur le monde retrouve enfin droit de cité.
Mais mon anti-platonisme primaire ne va pas jusqu'à nier la présence, dans les pages des dialogues, de pépites d'intelligence que tous, nous gagnerions à méditer quand l'horizon social et politique s'obscurcit.
Il se trouve que ces perles éclosent souvent dans la bouche des adversaires de Socrate - évidemment de mon point de vue ce n'est pas une coïncidence. Car je suis convaincue que les sophistes profèrent une parole bien plus juste sur l'humain - plus juste et, pour cette raison, plus difficile à entendre. Cherchez le scandale, trouvez la vérité - morale cynique que je fais souvent mienne.
Le Protagoras contient l'un de ces trésors pour la pensée. Considérons le passage dans lequel le sophiste Protagoras, devant un parterre enchanté et soumis, décrit sous forme d'un mythe les débuts de l'humanité (320-321c). L'histoire est bien connue : le titan Epiméthée partage entre toutes les créatures vivantes les différentes facultés, mais oublie l'être humain, qui se trouve nu, sans aptitude spécifique et sans défense. Son frère Prométhée, par le vol du feu et des techniques, apanages des dieux olympiens, sauve l'humanité d'une mort certaine en lui permettant par son travail de pallier sa faiblesse naturelle ; Zeus punit cruellement Prométhée de son larcin.
Mais ne négligeons pas la fin du mythe - sa partie la plus remarquable. Car Zeus ne se contente pas de châtier Prométhée. Il parachève l'oeuvre du titan, en dotant les hommes des deux vertus sans lesquelles les capacités techniques nouvellement acquises ne feraient que les armer les uns contre les autres dans une guerre fatale pour l'espèce. Ces deux vertus, la justice et la pudeur, sont pour le sophiste Protagoras les conditions nécessaires pour toute vie sociale harmonieuse.
En ce qui concerne la justice, point n'est besoin d'être grand clerc pour en saisir la nécessité. La justice, c'est à dire les lois mais également l'instance capable de les faire respecter, de neutraliser celui qui les enfreint en protégeant ceux qui les respectent, est évidemment indispensable.
Mais pourquoi la pudeur ? C'est bien dans l'adjonction de cette seconde vertu que réside le génie du texte. Car l'appareil judiciaire le plus coercitif du monde n'est rien, ne sert à rien, s'il n'est pas accompagné d'une crainte presque sacrée d'attirer en mauvaise part l'attention sur soi ; si donc la pudeur ne vient pas réfréner le désir commun à tous de se hausser du col, de faire le malin, d'exhiber son pouvoir, ses privilèges, ses supposés talents.
La justice est toujours un voeu pieux. Les lois sont toujours contournées, bafouées, et chacun s'en accommode tant bien que mal dans ce grand jeu de dupe qu'est la démocratie. La révolte ne gronde réellement qu'à partir du moment où les infractions se font au grand jour, sans crainte ni du gendarme ni de la réprobation de ses concitoyens. On pardonne au voleur, parfois même au criminel. Mais on s'indigne du sans-gêne insupportable de celui qui fraude, vole ou tue publiquement, sans rougir, en toute quiétude. Alors disparaît le pacte social ; alors, les jours du souverain sont comptés.

2 commentaires:

  1. Salut dame, c'est Wazaaa.

    C'est vrai, ce que tu dis; à ma sauce,ça veut dire que quand on fraude, l'intelligence voudrait qu'on le fasse de manière à ne pas se faire attraper. Je suppose que l'orgueil finit par ruiner l'effort de l'arnaque: triompher sans témoins, c'est moins drôle. Certains s'arrangent pour être découverts... je suis sûre qu'il y a au moins un film bien connu au box-office, qui traite du sujet.

    C'est par contre juste pitoyable quand une certaine survie dépend de la poudre qu'on est capable de jeter aux yeux. Dans mon boulot,je fais passer des entretiens de candidature pour intégrer des formations: démasquer un imposteur qui ne cherche qu'à ne pas retourner dans une zone du monde en conflit, ou à offrir à sa famille la sécurité d'un permis de travail dans un pays réputé pour son niveau de vie... là je me sens presque moche. Mais renvoyer à sa copie celui dont le masque tombe brutalement en plein interview, oui, bon... là, je peux endurer ce rôle de rhabilleur d'ego.

    Bon, pour finir sur une note optimiste: une collègue me relatait comment, en mission humanitaire quelque part au Tiers-Monde, elle était confrontée à la frime.

    Recrutant des coopérants sur place, elle les voyait tout arriver ou presque avec le même diplôme (numéro d'enregistrement compris) et la même expérience, les mêmes notes finales, et ainsi de suite. Pour finir, la sélection d'une candidature pouvait tenir au fait que la personne avait réussi à trouver une photocopieuse couleur pour une fois, ou à changer quelques détails dans la mise en page ou le cursus: la plus aboutie des arnaques devenait méritoire...

    RépondreSupprimer
  2. http://www.youtube.com/watch?v=_zU3U7E1Odc

    RépondreSupprimer