mercredi 5 janvier 2011

être femme, être fendue

"Le corps de la femme n'a pas de verrou pour fermer la sente qui conduit au centre de son corps, à ce lieu d'elle-même qui lui appartient autant que ses mains, ses yeux ou ses cheveux, mais qu'elle ne connaît pas, qu'elle ne contrôle pas". Marie Cardinal, Autrement dit.
La seule fragilité intrinsèque du corps féminin réside dans cette ouverture si délicate à contrôler.
Ironie linguistique, on décrit la zone qui encadre cette trouée par une métaphore architecturale particulièrement trompeuse : le plancher pelvien. De là à conclure qu'une femme ne peut avoir que de mauvaises fondations...
C'est de fait un animal bien curieux, que celui qui a son plancher, c'est à dire son sol, sa base, sous son ventre, c'est à dire au milieu de son corps. Si le plancher est au centre, l'assise, la stabilité de cet être bizarrement conformé par la nature sont perpétuellement menacées. Et les jambes sont réduites à des appendices superflus, télescopiques ou rétractables, comme si l'espace du ventre constituait le tout de la femme.

Pendant et après l'accouchement, le problème ne vient pas de ce qui pourrait "entrer" par cette fente (comme dans le cas du coït, consenti ou non), mais de ce qui risque d'en sortir (un bébé, et ensuite des organes qui ne sont plus retenus dans leur descente). L'urgence, donc, dans les semaines et les mois qui suivent la parturition, est de reconstruire (restons architectes) ce plancher pelvien, donc de réussir la prouesse qui consiste à faire du fermé avec du perçé, et du dur avec du mou. Le maintien en question est en effet strictement musculaire, et non intrinsèque à l'organe ; il peut se renforcer ou s'affaiblir, il est susceptible de variations.
Une femme qui fonctionne "bien" est ouverte, mais pas trop ; elle doit laisser entrer des pénis, elle doit retenir ce qui n'a pas à sortir.
Elle se voit donc transmettre une responsabilité vis à vis de cette partie de son corps ; si le périné demeure béant, c'est qu'il n' a pas été correctement rééduqué, elle l'a traité avec laxisme, comme un petit animal indocile.

J'ai pu entendre une sage-femme souriante et pleine de bonne volonté expliquer, lors d'une séance de préparation à l'accouchement, que dorénavant, les exercices qu'elle nous enseignait seraient à mettre en oeuvre toute notre vie. Toute notre vie...
Toute une vie à resserrer et relâcher spasmodiquement son périné à chaque instant de loisir. Et à s'en vouloir de ne pas le faire, bien évidemment...
Quel être humain autre que la femme qui a enfanté se trouve ainsi tenu, sous peine de déréliction interne, d'entretenir une telle attention, constante, vis à vis de son ventre et de son sexe ?
On apprend donc à la femme à garder, avec une vigilance permanente, ce sentiment que son corps est troué.

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